Extrait 1 :
On peut concevoir que tout ce qui n'est possible que par les forces de quelque être raisonnable est aussi un but possible pour quelque volonté, et de là vient que les principes de l'action, en tant que cette action est représentée comme nécessaire pour atteindre à quelque fin possible susceptible d'être réalisée par là, sont en fait infiniment nombreux. Toutes les sciences ont une partie pratique, consistant en des problèmes qui supposent que quelque fin est possible pour nous, et en des impératifs qui énoncent comment cette fin peut être atteinte. Ces impératifs peuvent donc être appelés des impératifs de l'HABILETÉ. Que la fin soit raisonnable et bonne, ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit ici, mais seulement de ce qu'il faut faire pour l'atteindre. Les prescriptions que doit suivre le médecin pour guérir radicalement son homme, celles que doit suivre un empoisonneur pour le tuer à coup sûr, sont d'égale valeur, en tant qu'elles leur servent les unes et les autres à accomplir parfaitement leurs desseins. Comme dans la première jeunesse on ne sait pas quelles fins pourraient s'offrir à nous dans le cours de la vie, les parents cherchent principalement à faire apprendre à leurs enfants une foule de choses diverses ; ils pourvoient à l'habileté dans l'emploi des moyens en vue de toutes sortes de fins à volonté, incapables qu'ils sont de décider pour aucune de ces fins, qu'elle ne puisse pas d'aventure devenir réellement plus tard une visée de leurs enfants, tandis qu'il est possible qu'elle le devienne un jour ; et cette préoccupation est si grande qu'ils négligent communément de leur former et de leur rectifier le jugement sur la valeur des choses qu'ils pourraient bien avoir à se proposer pour fins.
Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. Delbos, Delagrave, Paris, 1989, p. 126.
Questions :
1. Pourquoi les principes possibles de l'action humaine sont-ils, d'après le texte, infiniment nombreux ? Quel problème cela pose-t-il ?
2. À votre avis, de quels type de sciences est-il question dans la deuxième phrase de l'extrait ?
a) S'agit-il des sciences formelles (mathématiques, logiques) et des sciences de la nature (physique, sciences de la vie), ou bien de disciplines universitaires d'un autre ordre ?
b) Trouvez des exemples de telles sciences, par exemple en cherchant quelles disciplines Kant a enseignées à l'université de Königsberg en plus de la philosophie. Examinez également l'exemple de la médecine, pris par Kant plus bas dans le texte.
c) En quoi consiste la partie pratique de ces sciences ?
3. Qu'est-ce que l'habileté ?
4. En quoi les principes d'action propres à la partie pratique de ces sciences sont-ils des principes de l'habileté ?
5. Comment les principes de l'habileté sont-ils définis dans le texte ?
6. D'après leur définition, les principes de l'habileté peuvent-il constituer des principes moraux ? Pourquoi ?
7. En quoi le rapprochement opéré par Kant entre l'action du médecin et celle de l'empoisonneur permet-il de le montrer ? Qu'ont ces deux personnages en commun et sur quel plan s'opposent-ils ?
8. Quelle critique Kant formule-t-il à l'égard des premiers choix éducatifs faits par tous les parents pour leurs enfants ?
a) Par quel type de raisonnement, et partant par quels types d'impératifs, sont-ils généralement guidés ?
b) Qu'est-ce qui, d'après le texte, l'explique ?
c) Quelle erreur d'appréciation les parents commettent-ils sur ce plan ? Sur quelle confusion conceptuelle, entre PROBLÉMATIQUE (le possible), ASSERTORIQUE (le réel) et APODICTIQUE (le catégorique) cette erreur d'appréciation repose-t-elle ?
d) Qu'est-ce qui se trouve dès lors négligé ?
e) Que s'agirait-il plutôt, en définitive, de chercher à former chez les enfants ?
Réflexion :
En vous inspirant des analyses de Kant dans l'extrait ci-dessus, expliquez et discutez, dans un développement rédigé de trois pages, les principes qui, selon vous, devraient être ceux d'une bonne et véritable éducation morale.
Extrait 2 :
Il y a cependant une fin que l'on peut supposer réelle chez tous les êtres raisonnables (en tant que des impératifs s'appliquent à ces êtres, considérés comme dépendants), par conséquent un but qui n'est pas pour eux une simple possibilité, mais dont on peut certainement admettre que tous se le proposent effectivement en vertu d'une nécessité naturelle, et ce but est le bonheur. L'impératif hypothétique qui représente la nécessité pratique de l'action comme moyen d'arriver au bonheur est ASSERTORIQUE. On ne peut pas le présenter simplement comme indispensable à la réalisation d'une fin incertaine, seulement possible, mais d'une fin que l'on peut supposer avec certitude et a priori chez tous les hommes, parce qu'elle fait partie de leur essence. Or on peut donner le nom de prudence*, en prenant ce mot dans le sens le plus étroit, à l'habileté dans le choix des moyens en vue de notre plus grand bien-être. Aussi l'impératif qui se rapporte au choix des moyens en vue de notre bonheur propre, c'est-à-dire la prescription de la prudence, n'est toujours qu'hypothétique ; l'action est commandée, non pas absolument, mais seulement comme moyen pour un autre but.
*(Note de Kant) Le terme de prudence est pris en un double sens ; selon le premier sens, il peut porter le nom de prudence par rapport au monde ; selon le second sens celui de prudence privée. La première est l'habileté d'un homme à agir sur ses semblables de façon à les employer à ses fins. La seconde est la sagacité qui le rend capable de faire converger toutes ses fins vers son avantage à lui, et vers un avantage durable. Cette dernière est proprement celle à laquelle se réduit la valeur de la première, et de celui qui est prudent de la première façon sans l'être de la seconde on pourrait dire plus justement qu'il est ingénieux et rusé, mais en somme imprudent.
Ibidem, p. 127.
Questions :
1. Pourquoi le bonheur est il une fin que l'on peut supposer réelle et non simplement possible, chez tous les êtres raisonnables ?
2. En quoi chercher à réaliser notre bonheur est-il une marque de dépendance ?
3. En vertu de quel type de nécessité se propose-t-on le bonheur comme fin ? Pour quelle raison ?
4. De quel type d'impératif la recherche du bonheur relève-t-elle par conséquent ?
5. Pourquoi cet impératif a-t-il, dans le cas du bonheur, une valeur ASSERTORIQUE ?
6. Pourquoi s'agit-il d'une fin "que l'on peut supposer avec certitude et a priori chez tous les hommes" ? Cherchez la signification, chez Kant du concept d'a priori.
7. Qu'est-ce que la prudence, d'après le texte ?
a) Quel sens le mot "prudence" a-t-il dans la langue française courante de nos jours ? Cherchez des exemples d'actions prudentes en ce premier sens, et analysez-les de façon à montrer en quel sens elles peuvent être dites prudentes.
b) Comment la prudence est-elle définie dans le texte ?
c) Dans la note rédigée par Kant, quels sont les deux types de prudence distingués ?
d) Pourquoi la première forme constitue-t-elle une sorte d'ingéniosité ou de ruse plutôt que de prudence à proprement parler ? Que lui manque-t-il pour cela ?
e) En quoi est-il évident, dans l'un et l'autre cas, que nous avons affaire à des impératifs hypothétiques et non à des impératifs catégoriques ? Analysez et expliquez les arguments donnés dans le texte.
Réflexion :
En vous appuyant sur vos analyses de l'extrait ci-dessus, rédigez une dissertation sur l'un des deux sujets suivants au choix :
1. Suffit-il d'agir avec prudence pour agir moralement ?
2. Rechercher le bonheur, est-ce agir moralement ?
Extrait 3 :
Enfin il y a un impératif qui, sans poser en principe et comme condition quelque autre but à atteindre par une certaine conduite, commande immédiatement cette conduite. Cet impératif est CATÉGORIQUE. Il concerne non la matière de l'action, ni ce qui doit en résulter, mais la forme et le principe dont elle résulte elle-même ; et ce qu'il y a en elle d'essentiellement bon consiste dan l'intention, quelles que soient les conséquences? Cet impératif peut être nommé l'impératif de la MORALITÉ.
Ibidem, p. 127-128.
Questions :
1. Comment l'impératif CATÉGORIQUE est-il défini ici ?
2. Que signifie, dans cette définition, le mot "immédiatement", et en quoi cela distingue-t-il l'impératif catégorique de l'impératif hypothétique ?
3. Trouvez des exemples d'actions qui pourraient satisfaire à un impératif catégorique.
4. Qu'est-ce que la "matière de l'action" ? Donnez des exemples.
5. Qu'est-ce qui constitue "ce qui doit résulter" de l'action ? Donnez des exemples.
6. Pourquoi l'impératif catégorique ne peut-il pas concerner la matière de l'action ni ce qui en résulte ?
7. Qu'est-ce qui constitue "la forme et le principe" dont l'action "résulte elle-même" ? Servez-vous, pour répondre, des analyses que vous avez développées dans les perles précédentes.
8. Pourquoi cette forme et ce principe définissent-ils exclusivement l'intention de l'action ?
9. Pourquoi seule l'intention de l'action peut-elle être essentiellement bonne ?
10. Pourquoi une telle définition de la moralité de l'action exclut-elle de prendre en considération ses conséquences ? Justifiez cette idée en vous appuyant sur vos éléments d'analyse précédents.
11. Qu'y a-t-il de surprenant dans l'idée que seule l'intention fait le caractère essentiellement bon d'une action morale, "quelles que soient les conséquences" ?
12. En vous appuyant sur vos analyses précédentes, reformulez l'impératif de la MORALITÉ, tel que Kant le définit ici.
Réflexion :
Vous réaliserez au choix l'un des deux exercices suivants :
1. "C'est l'intention qui compte" dit-on souvent. Dans un développement argumenté de trois pages, vous montrerez par quels arguments, inspirés de ceux de Kant, on pourrait donner un fondement moral à cette affirmation, puis vous la discuterez en développant une série d'objections relatives aux risques représentés par la non prises en compte des conséquences de l'action.
2. Dissertation sur le sujet : N'y a-t-il que l'intention qui compte ?
Extrait 4 :
L'acte de vouloir selon ces trois sortes de principes est encore clairement spécifié par la différence qu'il y a dans le genre de contrainte qu'ils exercent sur la volonté. Or, pour rendre cette différence sensible, on ne pourrait, je crois, le désigner dans leur ordre d'une façon plus appropriée qu'en disant : ce sont des règles de l'habileté, ou des conseils de la prudence, ou des commandements (des lois) de la moralité. Car il n'y a que la loi qui entraîne avec soi le concept d'une nécessité inconditionnée, véritablement objective, et les commandements sont des lois auxquelles il faut obéir, c'est-à-dire se conformer même à l'encontre de l'inclination. L'énonciation des conseils implique, il est vrai une nécessité, mais une nécessité qui ne peut valoir que sous une condition subjective contingente, selon que tel ou tel homme fait de ceci ou de cela une part de son bonheur ; au contraire, l'impératif catégorique n'est limité par aucune condition, et comme il est absolument, quoique pratiquement nécessaire, il peut être très proprement nommé un commandement. On pourrait encore appeler les impératifs du premier genre techniques (se rapportant à l'art), ceux du second genre pragmatiques* (se rapportant au bien-être), ceux du troisième genre moraux (se rapportant à la libre conduite en général, c'est-à-dire aux mœurs).
*(Note de Kant) Il me semble que le sens propre du mot pragmatique peut être ainsi très exactement déterminé. En effet, on appelle pragmatique les sanctions qui ne découlent pas proprement du droit des États comme lois nécessaires, mais de la précaution prise pour le bien-être général. Une histoire est composée pragmatiquement, quand elle rend prudent, c'est-à-dire quand elle apprend au monde d'aujourd'hui comment il peut prendre soin de ses intérêts mieux ou du moins tout aussi bien que le monde d'autrefois.
Ibidem, p. 128-129.
Questions :
1. En quoi la façon dont la contrainte s'exerce sur la volonté dans les trois cas constitue-t-il un critère permettant de différencier les trois types d'impératifs ?
a) En reprenant vos analyses des extraits précédents, indiquez la façon dont cette contrainte s'exerce :
b) En vous appuyant sur vos analyses de la la question 1.a), indiquez ce qui définit chacun des termes suivant et en quoi il se différencie des deux autres :
2. Par quelle propriété, d'après le texte, le concept de loi est-il caractérisé ?
a) Que signifie ici inconditionnée ?
b) En quoi le caractère inconditionné de la loi fonde-t-il on objectivité ?
3. Les conseils que l'on peut énoncer en vue d'essayer de satisfaire nos aspirations et de parvenir au bonheur ont-ils une forme de nécessité ? Laquelle ?
4. Quelles en sont cependant les limites ?
5. En quoi l'impératif catégorique échappe-t-il entièrement à cette limitation ?
6. En quoi cela fonde-t-il sa nature de commandement moral ?
7. Kant propose pour finir des appellations alternatives pour chacun des trois types d'impératifs. Analysez les termes retenus dans l'extrait et expliquez en quoi ce choix se justifie :
a) "techniques (se rapportant à l'art)" ;
b) "pragmatiques (se rapportant au bien-être)" ;
c) "moraux (se rapportant à la libre conduite en général, c'est-à-dire aux mœurs)".
8. Quel est le sens courant du mot "pragmatique" dans la langue française courante d'aujourd'hui, lorsqu'on dit par exemple : "soyons pragmatiques", "il a agi de façon pragmatique" ? En quoi l'acception du mot dans le texte de Kant diffère-t-elle de l'acception aujourd'hui coutante ?
9. Kant justifie le choix du terme "pragmatique" en référence à deux domaines :
a) Lesquels ?
b) Dans le premier domaine, quelle différence faites-vous entre le "droit des États comme lois nécessaires" et "la précaution prise pour le bien-être général" ?
c) En quoi le deuxième domaine ouvre-t-il le champ d'une possible éducation à la prudence ?
d) Quelle relation entre le passé et le présent la possibilité d'"apprend[re] au monde d'aujourd'hui comment il peut prendre soin de ses intérêts mieux ou du moins tout aussi bien que le monde d'autrefois" présuppose-t-elle ?
Réflexion :
1. Selon vous, impératifs techniques (ou de l'habileté), impératifs pragmatiques (ou du bien-être) et impératifs moraux constituent-ils des principes d'action provisoires ou définitifs ? En quel sens ? Répondez à la question en examinant les arguments pour chacun des trois cas.
2. Y a-t-il place, dans une telle morale des impératifs, pour une morale provisoire ? Pourquoi ?
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